Zola et Oksana ont à peine deux ans de différence, pour être plus précise, elles ont exactement vingt-deux mois d'écart. Alors pour le coup Zola n'a jamais eu le temps d'être jalouse d'Oksana, elle a toujours eu sa petite soeur dans ses parages du plus loin qu'elle s'en souvienne. Les deux soeurs partagent beaucoup de choses. Du moins, ça a été le cas. Mais les deux jeunes filles ont évolué bien différemment dans leur milieu. Autant Zola a respecté le code moral imposé par sa famille autant Oksy a cherché à s'en débarrasser et à montrer sa force de caractère en s'opposant à la moindre phrase.
Gosses, Oksy était dans l'admiration de sa grande soeur qu'elle trouvait intelligente, sublime et qui était la convoitise de toute son enfance. Devenir comme elle était un rêve, surtout quand elle voyait sa soeur pratiquée tous les sports qu'elle faisait. Mais plus le temps a passé plus son amour pour la littérature s'est avéré fort. Et cela a tout changé. Dans l'intelligentsia russe, une jeune fille doit obéir à son père, il en va de l'honneur de la famille. Alors quand Oksana a délibérément remis en cause tous les ordres, Nikolaï n'a pas pu le supporter. Zola a été élevé au rang de fille modèle alors qu'Oksy a sombré dans les bas-fonds. Et cet amour pour la littérature a tout déclenché: les livres ont ouverts l'esprit à Oksana. C'est une jeune femme brillante et elle a voulu prendre en main son destin. Elle a voulu être la fille forte, qui ne déroge pas à ses principes, qui s'invente sa propre vie. Bref, elle a voulu être une héroïne. Dès son enfance elle a été dans un autre monde, a rêvé de tout ce qu'elle ne pouvait avoir (entre nous, pas grand chose si ce n'est de la sincérité).
Les années passant, les deux caractères des soeurs se sont éloignés mais la douceur de Zola ne permet jamais de la détester et Oksana n'a jamais pu s'y résoudre, même si l'envie ne manquait pas. Elle a toujours admiré sa soeur et sa bonté d'âme, elle ne connait personne d'une si grande gentillesse mais sa lâcheté, sa façon d'acquiescer face à tout ce que disait leur père l'a tout bonnement agacé. Elle a donc voulu débrider un peu la vie de sa soeur, la forcer à sortir, lui faire rencontrer des garçons, lui faire trouver sa passion au lieu de suivre leur père. Et n'a pas vraiment réussi. Sauf que Zola a finalement fini par écouter sa soeur sur une chose; les femmes ne valent pas moins que les hommes. Le combat féministe a émergé dans sa tête et désormais, son idole est sans aucun doute Simone de Beauvoir, dont Oksana lui a toujours recommandé la lecture. Suivi de près par les actes héroïques de Simone Veil auxquels la Russie était si sourde. La force de caractère d'Oksana a été suffisante pour elles deux et les deux jeunes filles ont passé un pacte avec leur père: partir étudier à Stanford. L'université étant suffisamment prestigieuse, leur père a fini par accepter. Mais il a d'abord voulu voir comment Zola se débrouillait avant d'y envoyer Oksana, pour qui, bien sur il a plus de défiance.
Elles sont désormais ici depuis deux ans et les choses s'améliorent un peu. Oksana a souvent envie de démolir sa soeur dans l'élan de son tempérament colérique et impulsif mais la douceur du visage de Zola la remet toujours à sa place. Pour Oksana ça a été une libération. Même si elle est en première année elle savoure chaque moment. Pour Zola, même si elle a eu plus de temps pour s'intégrer, notamment pour intégrer une sororité, elle ne se sent pas encore dans son monde. Leurs rapports sont inversés et c'est souvent Oksana qui remonte le moral de sa soeur. Parfois, elles se retrouvent juste. Mais à chaque fois qu'elles se voient, c'est pour parler russe. Quoique leur pays d'origine représente pour chacune un monde de contraintes et une prison à un certain degré, il n'en demeure pas moins qu'elles le vénèrent et sont les premières à le défendre.